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Sans noms et sans raisons

On les a connus sans raisons, les voilà sans noms. L’équipe s’est réduite, les compétences affirmées,

mais toujours règne sous ce chapiteau une fragrance de sincérité, de nécessité.

Ceux-là ont véritablement choisi le cirque, comme mode de vie, mode d’expression.

Leur chapiteau, ils l’ont voulu ; leur caravane, ils l’ouvrent à qui veut s’y réchauffer,

par les après-midi pluvieuses.

Leur dernier spectacle est à l’image de leur personnalité : pro, humble, inventif.

Pas besoin d’esbroufe quand la technique est intégrée ; on peut passer à l’humour.

(...), l’essence même d’un « cirque pauvre » que Grotowski n’aurait pas dédaigné inventer.

Seuls les rapports humains guident l’enchaînement des numéros, des tableaux plutôt,

car il y a quelque chose de pictural dans la composition et le déroulement du spectacle.

Et l’on se plaît alors à pouvoir parler d’un art véritablement populaire, au sens forain du

terme, dans l’image que nous en ont donnée les peintres et les écrivains.

Et n’est-ce pas la position la plus contemporaine que de revisiter, avec un regard d’hommes

et de femmes d’aujourd’hui, les fondamentaux d’une tradition et de viser au cœur ?

Le Cirque sans noms, c’est bien cela : une aventure, sans prétention, mais résolument juste.

Floriane Gaber

Journaliste et chercheuse

CIRCA Auch 2018 : « Abaque », l’audace

poétique du cirque contemporain

par Véronique Giraud

Loin des prodiges accomplis par les corps de circassiens repoussant les limites de la physique, le cirque sans noms construit patiemment la fascinante poésie du réel.

"Abaque", le spectacle inattendu de CIRCA Auch 2018.

La programmation du festival CIRCA Auch se veut rien manquer de la diversité du « cirque

actuel ». Aux côtés de circassiens repoussant ouvertement les limites physiques de l’acrobatie, créant de nouveaux élans prodigieux du main à main, de la voltige et du spectaculaire, s’est

invitée la malignité de moments qu’on croyait révolus, après Méliès et Chaplin, avec des cartes, une bougie, de la sciure. Ainsi débute le spectacle Abaque de la compagnie le Cirque sans noms, guidée par un maître mot, poésie.

L’entrée du chapiteau invite à emprunter un cheminement sinueux de sciure blanche. Sous la grande toile, un homme au centre de la piste elle aussi recouverte de sciure. Assis à une table bancale faiblement éclairée, il manipule de grandes cartes avant de les disposer en équilibre, lentement, avec grande application. Sur le « château » de cartes enfin réalisé, il pose une bougie. Sans un sourire, l’homme au chapeau se lève, récupère un lasso et se positionne de manière à… éteindre la bougie. Le ton est donné. Celui d’une habileté guidée par l’absurde, le petit rien et la beauté du geste. Où l’équilibre prend tout son sens dans le déséquilibre, où le détournement inventif des petits objets du quotidien décomplexifie le réel, où les petites entourloupes entre amis évoquent une humanité malicieuse, où les verres de vin s’échappent à peine remplis. Dans un univers quasi onirique, trois personnages vont et viennent sans raison ni sens. Sans noms. Pourtant chacun de leurs gestes déclenche une avalanche de prouesses. Chacune de leurs mimiques, muettes mais éloquentes, déclenche le rire. Une bouteille de vin, un chapeau, une lampe, des formes faisant bouger la sciure, tout est mis à l’épreuve. La lampe s’éloigne toute seule pour atteindre le toit du chapiteau, éclairant du même coup toute la piste. Pour la redescendre à sa position initiale au-dessus de la table, il faut monter très haut : avec une échelle verticale, sur des marches apparaissant puis disparaissant soudainement, en équilibre sur une planche bricolée suspendue dans le vide. Un corps géant s’élance avant de virevolter en un éclair autour d’une

barre métallique puis de s’engouffrer derrière un rideau et disparaître. Puisée dans un livre de magie qui se tenait là, la tentation de produire quelque chose avec un chapeau. Mais, à peine posé

sur la table, le chapeau s’échappe en glissant. On le retient et il en sort… un magnifique cheval

que l’homme au chapeau enfourche. Autant de prouesses, autant d’échecs chorégraphiés, qui

forment un poème visuel de toute beauté.

Il y a du Méliès dans l’ingéniosité loufoque du décor, il y a du Chaplin dans l’expressivité silencieuse de chacun. De son regard triste, la jongleuse Amandine Morisod accumule les feintes pour échapper à la trajectoire de la sciure qui la poursuit. De son regard morne, Thibault

Vuillemin déjoue les apparences de son corps géant. De son regard impassible, l’équilibriste Yann Grall marche sur un cheval et se suspend dans le vide. Comme une quatrième dimension, Thomas Lang se fait homme-orchestre, bruitant, accompagnant et rythmant leurs exploits en live depuis

son perchoir.

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